Cette semaine, dernière partie consacrée au Bois énergie avec les plaquettes forestières (et un exemple lotois) et la production d’électricité par la biomasse solide.
De la forêt à la chaudière : les plaquettes
Comme les pellets, les plaquettes peuvent avoir plusieurs origines. Elles peuvent être produites à partir de chutes de sciage (délignures), de bois broyé issu de l’élagage, de rémanents de l’exploitation forestière ou de bois de faible diamètre dont c’est souvent la seule valorisation possible. Parfois broyés sur place par des engins mécanisés, les morceaux déchiquetés se déversent directement dans des camions qui partent ensuite charger les cuves de stockage des chaufferies dans un rayon généralement inférieur à 150 km. Le but est de raccourcir au maximum les circuits pour limiter les dépenses en énergie. Le séchage en silo des plaquettes nécessite de gros volumes de stockage. Les chaudières modernes sont équipées de systèmes de dépoussiérage qui réduisent considérablement les émissions de particules fines dans l’atmosphère (valeurs inférieures aux valeurs réglementaires) et ont un rendement de 95%. Les plaquettes sont utilisées pour le chauffage domestique, celui des collectivités, l’alimentation de réseaux de chaleur collectifs et les chaudières industrielles. Les politiques publiques ont, au travers de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), des ambitions élevées dans ce domaine et tout particulièrement dans le chauffage collectif et industriel (faire tripler la consommation entre 2015 et 2023).
C’est à l’échelle locale, dans un mode d’autosuffisance avec le but de valoriser des ressources locales sous-exploitées que ce mode de chauffage s’avère le plus éco-responsable. De nombreuses communes françaises ont déjà mis en place le chauffage de bâtiments collectifs sur ce modèle en adéquation avec les gisements locaux de bois. À titre d’exemple, la commune des Herbiers en Vendée, chauffe ses maisons de retraite, une cuisine centrale (depuis 2008) et un centre culturel en s’appuyant sur l’approvisionnement géré par une plateforme de bois déchiqueté, la SCIC Bois énergies locales (société coopérative d’intérêt collectif sans but lucratif). Ses ressources : le bois des haies bocagères implantées dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres aux alentours fourni par les agriculteurs (50% de la ressource), les palettes non traitées des entreprises (25 %), le bois de chantiers obtenu lors d’abattages d’arbres (15 %) et le bois de déchetterie (10 %).
Plus près de nous, la SCIC BOIS ENERGIE LOT s’appuie sur une filière bois territorialisée en travaillant directement avec les exploitants paysans et quatre scieries locales. Un modèle d’autonomie qui permet de maîtriser la traçabilité du combustible. Ces ressources alimentent six chaufferies de collectivités dans le Nord du Lot (EPAHD de Martel, ESAT Pech de Gourbières, Hôpital de Montfaucon…) Les combustibles bois déchiqueté proviennent de chantiers d’exploitations forestières à taille humaine sur les départements du Lot et limitrophes, favorisant ainsi une sylviculture durable, responsable et encourageant la filière bois d’œuvre en circuit court. Cette filière dans le Lot est passée de 300 scieries au siècle dernier à une petite dizaine du fait de la concurrence d’autres matériaux (stratifié, PVC, alu…) Les systèmes sylvicoles à vocation de bois d’œuvre génèrent d’importantes quantités de produits connexes (plus de 50% de la matière entrante) avec les « gros » rémanents d’exploitation forestière (les petites branches sont laissées en forêt pour favoriser l’humus forestier), ils sont valorisés en énergie par la SCIC. Ce type de structure locale permet aussi aux départements de développer leur propre économie, d’accompagner la transition énergétique tout en les prémunissant de la mainmise par des groupes industriels étrangers sur les ressources locales.
L’énergie verte est-elle un oxymore ?
Parce que toute énergie engendre pollution, l’utilisation de la biomasse doit se réfléchir dans un juste équilibre entre prélèvement raisonné des ressources et réalité économique. Le SNUPFEN, premier syndicat de l’Office National des Forêts dans son rapport « Le bois énergie – Enjeux, perspectives et risques » (2009) nous met en garde: « Si le bois de chauffage est bien un matériau renouvelable, il est aussi un matériau principalement constitué de carbone. […] Nous, forestiers, qui prônons une gestion durable, renouvelable et à long terme ne pouvons que constater que la motivation principale de l’utilisation du bois énergie est économique alors que sa véritable vocation (la substitution) ne s’entend que s’il s’agit de réduire globalement les rejets, et non, comme c’est le cas actuellement de permettre de disposer de ressources supplémentaires pour rejeter encore plus de gaz à effets de serre. L’utilisation du bois d’œuvre ou d’industrie stabilisable (qui ne retourne pas à la décomposition) est le seul stockage effectif du carbone végétal permettant de réduire la quantité en circulation dans l’atmosphère pour lutter contre l’effet de serre. » Concernant la production d’électricité par combustion de la biomasse, le rapport du SNUPFEN poursuit : « Si celle-ci est un accessoire d’une production de chaleur primaire (cogénération), elle rentre dans le positif du bilan global (et encore, il faut considérer que la production « locale » pour fournir l’énergie de l’usine, scierie ou installation reste positive, mais devient négative s’il s’agit de transférer cette énergie vers d’autres utilisateurs en raison des pertes en ligne importantes).
D’autre part, la filière bois/forêt n’est pas préparée à approvisionner les gros projets de production d’électricité. La centrale à charbon de Gardanne reconvertie en centrale biomasse par la grosse entreprise allemande E.On (2ème producteur européen d’électricité) est emblématique comme projet « vert » surdimensionné ayant obtenu l’aval du Ministre de l’écologie en place en 2011.
Résumons en quelques points clés cette opération industrielle de grande envergure :
– Prévue au départ pour de la cogénération ? l’usine ne récupère pas de chaleur
– Le rendement thermique est très mauvais, 1/3 de l’énergie initiale est finalement distribuée à l’utilisateur (perte lors de la production et perte lors du transport)
– La quantité de résidus de bois prévue au départ pour la combustion a été complètement sous-estimée et l’on est passé à un approvisionnement colossal de bois ronds qui se fait dans un rayon de 400 km autour de Gardanne (Provence, Languedoc, Cévennes, Alpes et les massifs du Var) tandis que la forêt méditerranéenne ne se prête pas à une exploitation intensive de cette envergure car, pour l’essentiel, elle est composée d’arbres à croissance lente (chênes notamment)
– Parce que le bois de la région est deux fois plus cher que le bois importé, l’U.E. attribue à E.On des subventions à hauteur d’un milliard et demi d’euros sur 20 ans
– Elle utilise plaquettes et granulés qui exigent la coûteuse transformation des arbres
– Les ressources locales ne suffisent pas et l’on a recourt à du bois transformé en provenance du Canada et du Brésil
– Mise en concurrence de 4 industries de la filière bois rapprochées sur le plan géographique avec la Papeterie de Tarascon (1,2 M de tonnes de bois / an), la centrale biomasse de Brignole dans le Var (180 000 t/an) et la centrale de Pierrelatte dans la Drôme (150 000t/an)
– Conflit d’usage avec les chaufferies locales
– La pollution de l’air aux particules toxiques est avérée dans un rayon de 20 km autour de la centrale
Le vertige ou Gardanne en quelques chiffres : 855.000 tonnes de bois/an (435.000 t de biomasse locale, 335.000 t importées, 85.000 t de bois de récupération), 220.000 t de cendres par an, soit 228 camions de gros tonnage/jour (2.850 t de bois) et 40 camions/jour pour évacuer les cendres.
Un bel exemple de dérive de l’écologie politique à travers cette électricité dite verte que nous subventionnons sur notre facture d’électricité via la Contribution au service public d’électricité (CSPE) !
Le 11 février 2021, 500 scientifiques du monde entier co-signaient une lettre adressée aux présidents Biden (USA), Von der Leyen (Commission Européenne), Michel (Conseil Européen), Moon (Corée du Sud) et au premier ministre Suga (Japon) pour les alerter sur la menace que la combustion de la biomasse, et notamment les centrales électriques au bois, font peser sur les forêts.
Quelles menaces pour nos forêts publiques ?
Pour conclure, un quart des forêts françaises sont publiques et l’Office National des Forêts se pose comme le garant d’une gestion durable des forêts. Or, l’ONF est gravement touché par la démarche de privatisation entreprise depuis une vingtaine d’années par les pouvoirs publics entraînant une réduction importante de ses effectifs. Une loi en préparation qui prévoit la généralisation du statut de contractuel au détriment du statut de fonctionnaire remettrait en cause « les fondements du code forestier et la notion de service public forestier » (Lien vers le SNUPFEN). Parallèlement, l’ONF développe une logique de profit en s’associant à des groupes privés de la filière énergie bois (participe par exemple à 10% du capital du groupe EO2, fabriquant de granulés, dont il est devenu l’un des principaux actionnaires). Le Manifeste de Tronçais signé par des citoyens et différentes organisations attire notre attention sur cette politique forestière: « La démarche de privatisation de l’Office National des Forêts, et l’industrialisation croissante qui l’accompagne doivent être reconsidérées au regard des multiples enjeux des forêts pour la société d’aujourd’hui (climat, biodiversité, emploi et économie). La notion de bien commun impose par ailleurs que la société civile prenne part aux décisions forestières, et dispose d’un droit de regard sur la gestion des forêts publiques qu’elle reçoit en héritage et doit transmettre à ses enfants. » (PDF du manifeste en pièce jointe)
Le deuxième grand volet de notre enquête sur la biomasse s’intéressera au biogaz obtenu par le procédé de la méthanisation et le développement de cette filière dans le Lot.
A suivre…