Nous vivons une étrange période où les principes et les valeurs de la démocratie sont fragilisés à toutes les échelles de pouvoir dans l’indifférence générale. Il faut dire que le glissement s’opère de façon sournoise au gré des transformations sociétales tandis que chacun est bien trop occupé à s’adapter à ces changements et aux paradigmes qu’ils entraînent. Le vote est devenu une sorte de simulacre qui légitime des pratiques de plus en plus banalisées aux marges de la démocratie et des acteurs qui les mettent en œuvre.
Une petite histoire de la démocratie
Prenons un peu le temps de nous pencher sur les origines de la démocratie. Selon les historiens, le mot démocratie vient du grec ancien dokmokratiā dérivé lui-même de deux mots grecs : dêmos qui signifie « les gens ordinaires » et kratos qui veut dire « pouvoir ». La démocratie signifierait alors « le pouvoir des gens ordinaires ». A ses origines, au Vème siècle avant J.C., la démocratie athénienne était fondée sur le principe de participation directe des citoyens qui se réunissaient en assemblée pour décider de toutes les affaires importantes de la Cité et voter les lois à main levée. Chaque citoyen disposait d’une entière liberté de parole et pouvait proposer des amendements sur les projets de lois émis par la Boulé, un conseil de 500 citoyens tirés au sort pour un an.
La démocratie désigne un système politique dans lequel le peuple est souverain. Or, ce concept de souveraineté populaire a donné lieu, selon les contextes et les époques, à des interprétations différentes. Dans ses applications pratiques, la souveraineté populaire peut être l’expression de la démocratie directe comme dans la cité athénienne (le peuple vote les lois) ou de la démocratie représentative comme c’est le cas aujourd’hui dans notre pays (le peuple élit des représentants qui votent les lois). Pour certains philosophes des Lumières, Jean-Jacques Rousseau notamment, la démocratie ne peut-être que directe : « La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale et la volonté générale ne se représente point. » En 1789, Emmanuel-Joseph Sieyès (corédacteur de la Constitution française) contredisait Rousseau : « D’abord, la très grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir, pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France ; ils doivent donc se borner à se nommer des représentants. […] Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer ».
Quid de la démocratie aujourd’hui ?
Or, aujourd’hui, on assiste à un épuisement de la démocratie représentative et l’idée même de souveraineté populaire est devenue inopérante. Selon le philosophe Michel Foucault, il existe dans nos sociétés néolibérales des stratégies gouvernementales transversales à la société et à l’Etat qui établissent les normes de nos rapports sociaux. D’après lui, la « gouvernementalité » s’est substituée à la souveraineté. Alors que la démocratie est le fait pour les acteurs sociaux de pouvoir déterminer les normes suivant lesquelles leurs activités sociales sont gouvernées, dans le cadre de la gouvernementalité néolibérale, « les gouvernés ne peuvent décider des règles et des finalités des activités dont ils sont partie prenante dans les institutions de la société ». Dans un tel contexte, la participation à la désignation du souverain ne peut garantir quelque « pouvoir du peuple » que ce soit. Ainsi pour Foucault, les définitions de la démocratie en termes de souveraineté populaire ou de pluralisme des partis ne sont plus adaptées aux transformations du monde contemporain. Son concept précurseur pour repenser la démocratie est d’entrer dans une logique productrice de l’altérité. La démocratie peut exister à la condition que soit portée dans l’espace public une logique générale de réorganisation du monde alternative à la gouvernementalité officielle, un gouvernement autre. En effet, pour le philosophe, la démocratie implique aujourd’hui l’existence d’un pluralisme des gouvernementalités. Il préconise ainsi « le gouvernement du commun ». On assiste déjà ici et là dans le monde à des formes parcellaires de ce type gouvernement, autour de revendications de biens communs, ceux de l’eau ou des terres par exemple. Il se constitue alors des « espaces publics » fondés sur le principe du « bien commun ».
Et Gignac dans tout ça ?
En quoi cette réflexion théorique peut-elle nous aider à penser la démocratie à la petite échelle de notre village ? Il semble intéressant de raisonner en termes de bien commun. Les bâtiments de notre commune et notamment son école sont des biens communs et dans l’idéal de Foucault, ils feraient l’objet d’une gouvernance commune. Si la démocratie participative a essuyé une défaite aux dernières élections, il est en revanche légitime que la population soit associée d’une manière ou d’une autre aux décisions relevant des biens communs. Non seulement cela n’est pas le cas, mais le conseil statutaire a même tourné radicalement le dos à la démocratie en refusant que ses débats soient retransmis. La portée symbolique de ce geste est forte, puisque même à toute petite échelle, celle d’un village comme le nôtre, le déni de démocratie est banalisé et fait partie des pratiques courantes.