Nous vous partageons le témoignage d’une de nos adhérentes qui s’est rendue au « Village de l’eau » installé du 16 au 21 juillet 2024 dans la commune de Melle dans les Deux-Sèvres:
Convaincue que l’eau est un bien précieux dont il faut faire un usage raisonné et sobre, que sa gestion collective comme celle des autres ressources naturelles est un pilier de la transition écologique et du lien social, le principe des méga-bassines m’interrogeait. Originaire de la Beauce et sensible à la surexploitation des terres et à l’usage immodéré de pesticides, l’accaparement de l’eau – pourtant un « bien commun » – par une poignée d’intérêts privés soutenant ce modèle agricole lié à l’agro-industrie ne m’a pas laissé indifférente.
Lorsqu’en mars 2023 la mobilisation contre le projet de réserve d’eau artificielle de Sainte-Soline mobilisant près de trente mille personnes (entre 6 000 à 8 000 selon les autorités) a subi une féroce répression occasionnant deux cents blessés, j’ai voulu en savoir plus. Je ne me suis pas contentée du récit unique des médias de masse et des personnalités politiques. J’avais besoin d’entendre le vécu de ces femmes et de ces hommes qui au risque d’atteinte à leur intégrité physique et psychique avaient tenus à manifester malgré les interdictions (vous pouvez visionner le documentaire « Sainte-Soline, Autopsie d’un carnage » ICI
Un an plus tard lorsque le collectif Bassines Non Merci et les Soulèvements de la Terre (avec l’appui de 120 organisations co-déclarantes) ont annoncé l’organisation d’une rencontre internationale autour du thème de l’eau à moins d’une vingtaine de kilomètres de Sainte-Soline, c’était l’occasion pour moi de rencontrer celles et ceux qui se mobilisent et s’engagent aujourd’hui pour défendre les ressources de la planète et leur partage. L’opportunité de découvrir aussi leur créativité, leur inventivité pour de nouvelles formes de luttes mais aussi de les soutenir. Le programme de l’événement était d’ailleurs fort alléchant, militant bien sûr mais aussi très festif (pour voir le programme complet cliquez ICI).
Un village pas comme les autres
J’ai donc ressorti mon vieux sac à dos et ma tente canadienne, et me suis rendue au « Village de l’eau » accueilli par la commune de Melle. Cette commune des Deux-Sèvres connaît depuis plus de dix ans des épisodes de sécheresse qui imposent à ses résidents des restrictions – on comprend alors bien pourquoi l’eau est un enjeu primordial dans cette région, ses habitants savent pertinemment que l’eau est une ressource précieuse. D’ailleurs, saluons le courage du maire de Melle, Sylvain Griffault (élu en 2020 sans étiquette) et de ses conseillers qui malgré les nombreuses pressions (FNSEA, Coordination Rurale, politiciens …) ont gardé la volonté sans faille d’accueillir le rassemblement non-violent des opposants aux méga-bassines et à l’accaparement de l’eau au profit de l’agrobusiness. Selon les mots du Maire, c’est une façon de « faire pour que les espaces de démocratie restent vivants à un moment ou trop peu est dit ou fait pour qu’ils le demeurent ou pour qu’ils se développent ».
Arrivée en terre hostile
A l’approche de Melle, ce sont champs de céréales sans haie, ni forêt, balayés par le vent chaud et des parcs éoliens qui s’offrent à perte de vue. Puis, il faut affronter les nombreux barrages organisés par plus de 3000 policiers et gendarmes déployés pour l’événement. Le zèle des forces de l’ordre doit décourager les participants à venir au village de l’eau (fouille complète des véhicules, des sacs et saisies de divers objets inoffensifs) alors l’inquiétude monte: si comme certains, on me confisque mes piquets de tente où vais-je dormir ? Et si l’on me saisit ma gourde en métal ? Par chance, lorsque je rejoins à pied le Village de l’eau du parking improvisé en plein champ à trois kilomètres sous une chaleur harassante, les forces de l’ordre viennent de se déplacer.
Le village de l’eau, installé dans un îlot de verdure (au cœur de la vallée de l’Argentière), traversé par un ruisseau où vit la loutre, contraste avec les alentours immédiats. L’accueil y est chaleureux et les regards bienveillants. C’est une atmosphère détendue et joyeuse qui règne dans le village malgré la tension entretenue par le survol régulier de cinq hélicoptères et de dizaines de drone qui surveillent le village jour et nuit. Tout ce dispositif semble tellement disproportionné et surréaliste au regard de ce qui se vit réellement sur le site. Je n’y croise pas de prétendus « écoterroristes » mais des personnes de toutes générations confondues, d’origines sociales variées et de diverses nationalités qui sont réunies pacifiquement pour la même cause.
Des journées bien remplies
Avec des tables rondes, conférences, ateliers, formations, projections, balades naturalistes, concerts et spectacles, le programme de cette semaine est riche et divers. Les propositions sont toutes intéressantes et il est souvent difficile de faire son choix. Sans compter le temps dévolu aux rencontres et aux échanges très riches qui se font aisément dans la vie quotidienne du village et au sein des groupes de bénévoles réunis pour une même tâche (comme les corvées d’épluchage à la cuisine). Je m’attarde aussi dans les nombreux stands de collectifs et d’associations qui jalonnent le village. J’y découvre par exemple le travail de la Coordination Eau Île-de-France qui a transformé le paysage de l’eau en Île-de-France en soutenant un mouvement citoyen porteur de la création d’un certain nombre de régie publique dans de nombreuses communes. Ou encore, je consulte les publications à disposition sur les stands du média Reporterre, de l’Atelier Paysan ou celui d’Extinction Rébellion…
Les informations sont relayées très facilement sur le site et les journées sont aussi ponctuées par les appels à l’accueil collectif, joyeux et en musique, des nombreux convois à vélo qui arrivent des différentes régions de France. Je croise un couple du quatrième âge qui arrive de Bretagne à vélo. Incroyable ! La lutte multiplie les forces !
Le village est aussi le point de départ de deux jours de mobilisation à Saint-Sauvant dans la Vienne et à la Rochelle. Ces actions se veulent avant tout pacifiques et symboliques. Les cortèges à vélo ou à pied, ceux des tracteurs de la Confédération Paysanne sont lancés au rythme des fanfares et convergent vers des sites agro-industriels emblématiques. Ces actions de mobilisation peuvent être aussi poétiques et reflètent l’ingéniosité des militants comme ce lâcher de cerf volant larguant des lentilles d’eau au dessus d’une bassine.
En ce qui me concerne, je choisis de rester au village pour participer au fonctionnement du campement et préparer l’accueil du retour des manifestants.
Une dynamique d’autogestion
Ce qui m’a le plus impressionnée, c’est l’incroyable efficacité de l’organisation horizontale du Village de l’eau qui a rassemblé jusqu’à 10 000 personnes par jour, le tout reposant uniquement sur la dynamique d’autogestion grâce à la participation de chacun à la vie du village. La préparation des repas végétariens complets servis midi et soir (prix libre) avec des temps d’attente réduits malgré l’affluence, la productivité des fours à pain mobiles de l’Internationale Boulangère Mobilisée, le roulement de l’entretien des toilettes sèches, le sourire des bénévoles des points infos, la disponibilité des soignants de la base soin, la mise à disposition aux étrangers ne maîtrisant pas le français de récepteurs de traduction simultanée pour les débats et conférences… Tout cela permettant un fonctionnement fluide du village et basé sur l’entraide et la bonne humeur.
J’ai aussi découvert la dimension internationale de la lutte pour la défense de l’eau. Des délégations internationales issues d’une vingtaine de pays différents (espagnoles, marocaines, mexicaines, chiliennes, colombiennes, palestiniennes, nord américaines, indiennes, brésiliennes, belges) étaient présentes et leurs représentants sont intervenus lors de tables rondes thématiques passionnantes.
Le village de l’eau c’est aussi, la gazette quotidienne très créative qui est publiée et distribuée chaque jour dans le village et une radio qui couvre les manifestations et diffuse pour ceux qui sont restés au village l’info en temps réel de ce qui s’y passe.
Et au-delà de cette logistique incroyable, ce que je retiens avant tout de cette expérience c’est que l’entraide et la solidarité sont les moteurs de la lutte contre les oppressions et que la lutte pour l’environnement est intersectionnelle puisqu’elle a des connections très fortes avec d’autres luttes – sociales, féministes, anti-racistes…
Enfin, lors de ces quelques jours de mobilisation collective, j’ai pu ressentir avec beaucoup de force que se mobiliser collectivement – et d’autant plus au sein d’un grand collectif comme celui réuni à Melle – est source d’une grande joie, alors même que les défis écologiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés sont immenses. Pour moi la lutte est définitivement synonyme d’optimisme !
Pour en savoir plus, retrouver ICI le compte rendu jour par jour de l’événement par ATTAC ou encore sur la répression des actions, regarder la vidéo d’un journaliste de terrain ICI