La semaine dernière nous avons fait un état des lieux de la forêt française et abordé les enjeux complexes autour du Bois énergie dans la transition énergétique. Dans ce deuxième volet nous nous intéressons au bois bûche et au granulé de bois.
Le bois bûche en question ?
Le chauffage individuel au bois représente la première source d’énergie renouvelable en France et le bois bûche en usage domestique constituait encore en 2019 près de 70 % de la consommation de bois énergie. L’ADEME qualifie le chauffage domestique au bois « d’enjeu incontournable et stratégique de la transition énergétique » en France. Dans cet usage et avec un approvisionnement local, le bois est peu émetteur de CO2. Une étude commandée par l’Agence nous dit: « avec l’hypothèse que le carbone émis à la combustion est compensé par du CO2 capté lors de la croissance des plantes, le bois émet 11 fois moins de CO2 que le fioul, 4 fois moins que l’électricité et 5 fois moins que le gaz (cabinet BioIS, 2005). Dans son Avis de 2019, l’ADEME souligne le prix compétitif de ce combustible et ses aspects vertueux : le chauffage au bois domestique favorise une gestion durable des forêts françaises et peut permettre un accroissement du nombre d’utilisateurs dans les années à venir. De plus, le bois bûche puise dans les réserves de bois feuillus majoritaires dans nos forêts. Il contribue aussi au développement et au maintien d’emplois territoriaux (plus de 19 % des emplois directs dans les énergies renouvelables) sans compter les 30 000 emplois informels attribués à l’auto-approvisionnement. Mais le bilan carbone de la filière est aggravé par l’automatisation et la mécanisation des récoltes dans l’industrie forestière.
Tandis qu’une des mesures-phares du plan de rénovation énergétique présenté le 25 novembre 2020 par le gouvernement est l’interdiction du chauffage au gaz dans les maisons neuves dès l’été 2021 puis dans les logements collectifs neufs à partir de 2024, afin de promouvoir la biomasse, des scientifiques et médecins regroupés au sein du collectif Air-santé-Climat ont interpellé les ministres de la santé et de la transition écologique. Selon les études, le chauffage au bois, en particulier à bûches, est responsable d’une grande part des émissions de particules dans l’air au niveau national (particules très fines, hydrocarbures aromatiques polycycliques, 35 fois plus de HAP cancérigènes que le fioul domestique quand les chauffages au gaz et à l’électricité n’en émettent pas du tout), oxydes d’azote (mais bien moins de NOx que le fioul et que l’électricité), benzène, composés organiques volatiles (COV), monoxyde de carbone (CO), lesquels constituent des cancérogènes et affectent les systèmes respiratoire et cardiovasculaire (Cf. Rapport Ineris 2018).
Comparatif des émissions d’oxyde d’azote et de soufre
Rapport BioIS pour l’ADEME (2005)
Ainsi les scientifiques demandent notamment l’interdiction des cheminées à foyers ouverts, l’installation de filtres à particules sur les cheminées domestiques, des aides pour le renouvellement des installations anciennes, la réduction des chaufferies collectives et centrales biomasses. Doit-on alors faire table rase des pratiques culturelles et sociales comme celle de se rassembler autour d’un cantou ?
À noter, qu’en 2005, année du rapport ci-dessus, les appareils de chauffage à bois bûche étaient loin des normes actuelles en terme d’émissions polluantes et de rendement énergétique. L’ADEME précise que le renouvellement des appareils peut permettre de réduire fortement les quantités de polluants émis. Pour une même quantité d’énergie produite, un appareil récent performant (Label flamme verte 7*) émet jusqu’à 13 fois moins de particules fines qu’un foyer fermé antérieur à 2002 et jusqu’à 30 fois moins qu’un foyer ouvert (Guide ADEME chauffage au bois mode d’emploi). Les rendements sont également optimisés : jusqu’à 85% pour l’insert, le poêle et 95 % pour une chaudière alors qu’il n’est que de 10% pour un foyer ouvert (cheminée). Le crédit d’impôt à la transition énergétique et le Fonds Air de l’ADEME et l’éco-prêt à taux zéro encouragent le particulier à remplacer son appareil peu performant ou à se tourner vers un autre type d’approvisionnement: le granulé de bois.
Le granulé a le vent en poupe !
Grâce à sa densité élevée et un taux d’humidité faible (< 8 %), le granulé de bois (dit aussi « pellet ») a un grand pouvoir calorifique (5 MWh/t). La combustion étant complète, les composés gazeux et solides sont brûlés (faible taux de cendre) ce qui limite l’émission de particules fines. Les granulés, fabriqués à partir de sciures de bois de résineux compressées sans agent de liaison (grâce à la sève), restent un matériau naturel. Une soixantaine d’entreprises françaises réparties sur le territoire, ayant pour beaucoup une activité de transformation du bois (construction, lambris, parquets, meubles…) ont développé une branche énergie. Elles revendiquent une démarche respectueuse de l’environnement en s’approvisionnent au plus près de leur site (moins de 100km), en contribuant à une gestion durable de la forêt et en valorisant les déchets de scierie et les rémanents de la forêt. Or, le marché du granulé a explosé, et depuis 2012 la filière est sous tension par pénurie de sciure et en raison d’une disponibilité en bois résineux limitée à terme. Elle se tourne donc vers le bois rond issu en partie des feuillus. Pour garder une bonne image éco-responsable, les producteurs parlent de « bois d’éclaircie, qui permettent de régénérer et d’entretenir les forêts ».
Les unités de production étant fortement automatisées, elles génèrent un nombre d’emploi limité. Certains industriels voient dans les granulés de bois un potentiel considérable de développement, d’autres redoutent un développement extensif de la filière, lui faisant perdre tout caractère écologique. Bien que la consommation ait légèrement dépassé la production, la France, jusqu’en 2019, restait sur un modèle d’autosuffisance en atteignant les 1,67 millions de tonnes de production. L’import et l’export (entre 15 et 20 %) étaient limités aux pays voisins: l’Italie pour l’export et pour l’import l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et le Portugal (ces derniers pour compenser notamment le manque de production dans le massif forestier du Sud-Ouest).
Des importateurs souhaitent s’implanter pour vendre du granulé de bois en provenance du Canada ou du Brésil mais pour l’instant la France échappe aux dérives que connaissent d’autres pays d’Europe. Selon le rapport de European Pellet Council, en 2019, l’Europe produisait 17,8 M de tonnes de pellet et en importait principalement d’Amérique du Nord 10 M de tonnes. En 2017, l’Europe consommait 77% de la consommation mondiale. Le Royaume-Uni a déployé d’importantes mesures d’incitation à l’utilisation de ce combustible auprès des particuliers tout en développant la conversion de ses centrales électriques en centrale biomasse. Faible producteur, il concentre ainsi 44% des importations européennes en provenance d’Amérique du Nord. Aux Etats-Unis, l’industrie a investi massivement depuis 2015, pour répondre à une demande mondiale dont la croissance est estimée à 21% par an, faisant provoquer « un gigantesque déboisement de zones humides et de vallées entières » en Caroline et en Géorgie selon le journal américain ThinkProgress. Le Canada mise aussi sur ce secteur et vient de créer en Colombie Britannique, un site de production pour exporter près d’1 million de tonnes de pellet vers l’Asie. La conversion des centrales à charbon en centrales biomasses en Europe, Corée du sud et Japon génèrent ces productions. Dans ces conditions et compte tenu de la pollution du fret maritime et de sa consommation en fuel lourd, on peut se demander dans quelle mesure le pellet reste écologique.
Flux commercial européen de granulés et exportations nord-américaines nets vers l’Europe en 2017 (> 50 Kt). Source Eurostat
À noter : le bilan énergétique des granulés est moins favorable que pour les bûches et les plaquettes car il faut 1 tep pour fabriquer 6 à 7 tep de granulés (12 à 17 tep de bûches et 15 à 20 tep de plaquettes forestières). L’énergie nécessaire à la production de granulés de bois est liée au taux d’humidité de la matière première. Les différentes étapes de fabrication et notamment le séchage des sciures à haute température, le transport et l’ensachage en sac plastique alourdissent le bilan carbone des granulés, et pour les granulés fabriqués à partir de rondins s’ajoute l’utilisation des engins (bûcheronnage, débardage…) puis l’écorçage, le broyage etc. Certaines entreprises essaient de limiter l’empreinte CO2 en utilisant la biomasse (ex : écorces comme combustible des foyers).
Effet de serre du aux étapes de mise à disposition du combustible (BioLS 2005)
(Granulés fabriqués seulement avec les déchets de scieries)
La semaine prochaine nous consacrerons la dernière partie de notre enquête sur le Bois énergie avec les plaquettes de bois et un exemple de développement local dans le Nord du Lot. Le volet se refermera sur la production d’électricité à partir de la biomasse solide.